Engie et CMA CGM ont récemment décidé de mettre fin au projet Salamandre, une initiative ambitieuse visant à produire 150 GWh/an de biométhane de deuxième génération au port du Havre pour décarboner le transport maritime . Bien que le projet ait suscité de nombreuses attentes, son abandon reflète les défis complexes auxquels font face les filières émergentes de production de gaz renouvelables. Revenons sur les éléments clés et le contexte technologique de cette décision.
La pyrogazéification : une technologie prometteuse mais complexe
La pyrogazéification est une technologie de production de gaz renouvelable dite de deuxième génération, distincte de la méthanisation. Alors que cette dernière repose sur la fermentation anaérobie de matières organiques pour produire du biogaz, la pyrogazéification consiste à chauffer des résidus solides (comme la biomasse, le bois déchet ou les Combustibles Solides de Récupération, CSR) à très haute température (800-1200 °C) en l’absence d’oxygène. Ce processus transforme les matières en gaz de synthèse (syngaz), qui peut ensuite être purifié pour devenir du biométhane injecté dans les réseaux de gaz.
Contrairement à la méthanisation, qui valorise principalement des déchets organiques humides (déjections animales, résidus alimentaires), la pyrogazéification est capable de traiter une plus grande variété de matières premières, y compris des déchets ligneux et des CSR. Cette flexibilité permet de valoriser des flux souvent sous-exploités.
Dans le projet Salamandre, cette technologie aurait permis de produire un gaz renouvelable à partir de biomasse et de CSR, avec un certain pourcentage garanti de gaz renouvelable grâce à un système de traçabilité. Cela pourrait s’apparenter à un mécanisme de mass balance, où la proportion de gaz renouvelable injecté est tracée en fonction des intrants utilisés.
Engie : des années de R&D pour développer la pyrogazéification
L’abandon du projet Salamandre ne reflète pas un manque d’engagement de la part d’Engie dans le domaine des gaz verts. En effet, le groupe a investi plusieurs années de recherche et développement (R&D) à travers la plateforme Gaya, située à Lyon. Ce centre pilote a permis de valider les performances de la pyrogazéification et de démontrer son potentiel pour produire du biométhane de manière innovante.
Cependant, malgré ces avancées, la mise en œuvre à grande échelle, comme prévue pour Salamandre, s’est heurtée à des obstacles significatifs.
Les raisons principales de l’abandon
- Coûts d’investissement élevés : Les études d’ingénierie ont révélé une augmentation des coûts, dépassant largement les 150 millions d’euros initialement prévus, ce qui a remis en question la viabilité financière du projet.
- Absence de soutien financier public : Engie et CMA CGM n’ont pas réussi à obtenir les subventions espérées, ni de la part du Fonds européen d’innovation, ni du gouvernement français.
- Approvisionnement en matières premières : La disponibilité des intrants notamment en biomasse s’est avérée plus compliquée que prévu, posant des défis logistiques et économiques.
- Réorientations stratégiques : Engie semble recentrer ses priorités sur la production d’électricité et les nouveaux carburants pour l’aviation, tandis que CMA CGM explore d’autres technologies, comme la gazéification hydrothermale, en partenariat avec Suez.
Un projet visionnaire malgré les défis
Le projet Salamandre illustrait les avancées possibles dans la transition énergétique en valorisant des ressources variées pour produire un gaz renouvelable. Cette vision reste pertinente, mais son abandon met en lumière les défis structurels du secteur, notamment :
- La nécessité de mécanismes de soutien financier adaptés.
- L’importance d’une logistique bien pensée pour l’approvisionnement en matières premières.
- L’équilibre entre innovation technologique et rentabilité économique.
Bien que Salamandre ne voie pas le jour, les technologies de deuxième génération comme la pyrogazéification continueront de jouer un rôle crucial dans le futur des gaz renouvelables. Des projets comme celui-ci, portés par des années de R&D, montrent la direction à suivre, tout en soulignant les ajustements nécessaires pour surmonter les obstacles rencontrés.
En matière de traçabilité, l’utilisation de mécanismes comme le mass balance pourrait renforcer la confiance dans le caractère renouvelable des gaz produits. Cela reste un domaine à explorer davantage pour concilier innovation, durabilité et soutenabilité économique.