Soutien suspendu à la méthanisation en Normandie : quelles conséquences pour la filière ?

Une annonce brutale qui interroge

L’annonce récente de l’arrêt des soutiens à la méthanisation par la Région Normandie, formulée depuis l’Orne, a de quoi surprendre. Non seulement parce qu’elle touche un secteur stratégique pour la transition énergétique, mais aussi parce qu’elle vient d’un territoire qui devrait en être le porte-voix : l’Orne est le département le plus autonome en gaz de toute la France (23 % en 2023), grâce justement à la méthanisation.

Une décision en deux temps, un message confus

Ce n’est pas la première fois que la Région envoie un signal désengageant. Fin 2023, un premier coup d’arrêt avait été justifié par le manque de contrôle concernant le plafond des 15 % de cultures énergétiques. Puis un second, aujourd’hui, au nom de la réduction des dépenses publiques. C’est désormais le soutien à toute la filière qui est remis en cause.

Quel message la Région souhaite-t-elle vraiment transmettre ? Aux yeux des porteurs de projets, le signal est clair : « la région n’a pas besoin de vos projets », « la méthanisation est trop rentable, elle n’a plus besoin d’être soutenue ». Mais ce raisonnement, relayé dans une interview au média Le Perche par le vice-président Hubert Dejean de la Batie (« On ne va pas soutenir des projets très rentables »), mérite d’être nuancé.

Sur ce sujet de la rentabilité, il faut rappeler que les rapports récents de la CRE et de la Cour des comptes, bien qu’importants, ne peuvent en aucun cas être généralisés à l’ensemble des projets. Ils ne reflètent pas la diversité des modèles économiques, ni les réalités locales. Et encore moins le rôle structurant que ces projets jouent dans les territoires.

Un soutien bien plus qu’un apport financier

Le soutien financier apporté par la Région et l’ADEME, qui peut atteindre jusqu’à 15 % du capital investi, joue un rôle bien plus important que son seul poids budgétaire. Ces aides sont souvent considérées comme des quasi-fonds propres par les banques, facilitant ainsi le financement des projets en complétant l’apport des porteurs.

Mais au-delà de l’effet de levier, ce soutien est un signal politique, un engagement qui améliore l’acceptabilité locale, accélère les démarches administratives, et donne une direction claire aux territoires. L’arrêt de ce soutien, c’est aussi l’arrêt de cette dynamique institutionnelle.

Une filière régionale déjà bien structurée

Évolution annuelle de la capacité installée d’injection de biométhane en région Normandie, entre 2018 et 2025

Capacité installée en GWh/an selon les données Odré — 63 sites injectant en 2024, dont 90 % d’installations agricoles (autonome et territorial).

La Normandie compte aujourd’hui 63 installations de méthanisation injectant du biométhane, pour une capacité totale de 1 291 GWh/an. Voici la répartition par département :

Département Nombre d’installations Capacité en GWh de biométhane
Eure 9 169.4
Seine-Maritime 11 414.6
Orne 22 397.4
Manche 11 134.2
Calvados 10 175.5
TOTAL 63 1291.1

La taille médiane des installations en injection est de 13,4 GWh/an, inférieure à la médiane nationale, preuve d’un modèle déjà bien cadré, maîtrisé et loin des excès souvent brandis comme contre-arguments.

En parallèle, la région compte également de nombreuses installations en cogénération biogaz, qui contribuent à la production d’énergie renouvelable et à la valorisation locale des intrants organiques.

Des retombées bien au-delà du méthaniseur

Faut-il rappeler que la méthanisation ne profite pas uniquement aux agriculteurs qui investissent ? Elle bénéficie à tout un territoire :

  • Diversification et sécurisation des revenus agricoles, en période d’incertitude économique et climatique
  • Amélioration des pratiques agricoles (meilleure gestion des effluents, valorisation de la matière organique)
  • Réduction des émissions de gaz à effet de serre
  • Développement d’une économie locale non délocalisable (maintenance, logistique, travaux)
  • Souveraineté énergétique régionale, à une période où cette question n’a jamais été aussi sensible
  • Création de synergies entre exploitations, par l’échange d’intrants ou l’utilisation du digestat

Une orientation qui interroge

Alors que le développement du gaz renouvelable est l’un des leviers identifiés par la PPE, que les objectifs nationaux s’accélèrent, et que la France s’est dotée d’une feuille de route ambitieuse (REPowerEU, PPE3), une telle décision locale va à contre-courant.

Le programme régional Métha Normandie fait un travail technique de qualité en matière d’accompagnement. Mais le retrait du soutien régional envoie un signal à l’opposé de l’engagement attendu. À force de céder aux pressions locales ou aux discours simplistes, on risque de freiner une filière entière pour de mauvaises raisons.

La rentabilité d’un projet n’annule pas son intérêt collectif. Et d’un projet à l’autre, les niveaux de rentabilité varient énormément.

La méthanisation reste l’une des rares technologies agricoles qui concilie production, décarbonation, résilience territoriale et agriculture circulaire. Elle mérite mieux que ce traitement.

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