Le biogaz gagne en attention, surtout dans le contexte actuel où l’Europe cherche des alternatives au gaz russe à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Considéré comme un pilier de la transition énergétique, cette alternative renouvelable au gaz naturel, soulève plusieurs questions : Qu’est-ce que le biogaz exactement ? Comment se différencie-t-il du gaz naturel ? Quelles sont ses méthodes de production et d’utilisation ? Quels sont ses avantages et les défis à surmonter ?
Cet article approfondit le sujet du biogaz, une des solutions énergétiques renouvelables déjà introduites dans notre précédent article sur les gaz renouvelables, soulignant son rôle essentiel dans notre quête d’indépendance énergétique et de durabilité.
Le Biogaz Expliqué : composition, production, et utilisation
La production de biogaz résulte de réactions biochimiques dans des conditions anaérobiques, initiées par des bactéries qui ne tolèrent pas l’oxygène. Ces bactéries prospèrent dans des milieux sans oxygène et légèrement chauffés, transformant des matières organiques telles que les déchets agricoles et les boues d’épuration en biogaz et digestat. Le biogaz est majoritairement composé de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2), mais peut aussi contenir d’autres gaz comme le sulfure d’hydrogène (H2S) et l’ammoniac (NH4), selon la nature des déchets traités. Le méthane, puissant gaz à effet de serre, est mieux valorisé quand capturé pour la production de biogaz, réduisant ainsi les émissions issues de l’agriculture et substituant les énergies fossiles. Le terme « gaz du marais » fait référence à la découverte historique du méthane, un gaz incolore et inodore composé d’un atome de carbone et quatre atomes d’hydrogène.
Comment le Biogaz est-il produit ? Comprendre la méthanisation anaérobie
La production du biogaz s’effectue à travers un processus biologique, la méthanisation anaérobie, inspiré par la digestion naturelle des ruminants. Cette transformation biologique requiert un environnement sans oxygène et maintenu à une température spécifique. Il existe principalement deux types de procédés en fonction de la température : le procédé mésophile, opérant à une température avoisinant les 40°C, et le procédé thermophile, qui fonctionne à des températures plus élevées, généralement entre 50°C et 60°C. Le cœur de ce processus repose sur l’activité de bactéries spécialisées qui opèrent en plusieurs phases : hydrolyse, où des enzymes décomposent les substances complexes (protéines, les lipides et polysaccharides) ; acidogenèse et acétogenèse, transformant les produits de l’hydrolyse (acides gras, alcools et acides aminés) en composés plus simples (principalement de l’acide acétique (CH3COOH) ) ; et enfin, la méthanogenèse, où ces composés sont convertis en méthane (CH4) et dioxyde de carbone (CO2).
La gestion du pH, proche de la neutralité, du taux de matière sèche pour éviter les déséquilibres physiques, et de la composition de la matière organique, sont autant de facteurs critiques pour l’efficacité du système. La granulométrie de la matière première joue également un rôle crucial, influençant directement la digestibilité et, par conséquent, le rendement en biogaz. Le processus aboutit à la production d’un sous-produit appelé digestat, qui, après analyse et traitement éventuel conformément à une réglementation stricte, peut servir d’amendement agricole, bouclant ainsi le cycle de l’économie circulaire.
Différentes filières des installations de biogaz
Filière Installation de Stockage des Déchets Non Dangereux (ISDND)
L’intégration des installations de biogaz dans le traitement des déchets ménagers s’est révélée être une évolution naturelle vers une gestion plus durable des déchets. Les sites d’enfouissement des déchets non dangereux (ISDND) sont traditionnellement associés à l’enfouissement et au dépôt de déchets, où la décomposition des matières organiques, sous l’influence de conditions telles que le taux d’humidité, conduit à la formation spontanée de gaz de décharge. Ce gaz, similaire au biogaz par sa composition, a longtemps été soit relâché dans l’atmosphère soit brûlé sur site, contribuant significativement aux émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre.
La valorisation de ce gaz bas carbone, a été envisagée comme une opportunité pour alimenter des moteurs de cogénération, permettant la production d’électricité à injecter dans le réseau et de chaleur utilisable localement. Cependant, la présence de composés nuisibles tels que le sulfure d’hydrogène (H2S), les siloxanes et les composés organiques volatils (COV) dans le gaz de décharge posait un défi majeur, endommageant les moteurs de cogénération et réduisant leur durée de vie.
Pour surmonter ces obstacles, des procédés d’épuration du biogaz ont été développés, permettant l’élimination efficace de ces polluants. Ce traitement transforme le biogaz en biométhane ayant des spécifications proches de celles du gaz naturel circulant dans le réseau, adapté à son tour à l’injection ou à l’utilisation sur site pour répondre aux besoins en chaleur.
Filière Ordures Ménagères (OM)
L’avènement de la filière des ordures ménagères avec tri à la source marque une évolution significative dans la gestion des déchets. Contrairement à la méthode traditionnelle où les déchets organiques sont amalgamés avec d’autres types de déchets, rendant leur séparation complexe, le tri à la source se présente comme une solution efficace et prometteuse. En effet, la loi AGEC, entrée en vigueur cette année, stipule une obligation pour les collectivités de trier à la source la fraction organique des ordures ménagères afin de favoriser une valorisation optimale, soit par compostage soit par méthanisation, convertissant ces déchets en biogaz. Cette pratique contribue à minimiser le volume de déchets destiné aux décharges ou à l’incinération, améliorant ainsi l’efficacité de la gestion des déchets.
Des initiatives concrètes, telles que celle de la métropole lilloise, illustrent parfaitement cette dynamique. Il y a plus de dix ans, la ville a mis en place le Centre de Valorisation des Déchets Organiques (CVO) de Sequedin, une installation de pointe dédiée à la production de biogaz à partir des ordures ménagères. Le biogaz extrait est ensuite purifié pour produire du biométhane, un gaz renouvelable qui, depuis 2011, est injecté dans le réseau de distribution géré par GRDF. Cette démarche pionnière ne se limite pas à alimenter une partie de la flotte de bus urbains en énergie verte ; elle permet également de fournir une source de gaz renouvelable au réseau de gaz, illustrant ainsi un cas exemplaire de gestion durable des déchets, innovante et responsable. Cette initiative contribue de manière significative à la transition énergétique de la métropole et à la réduction de son empreinte écologique.
Filière STEU (Stations d’épuration)
Les stations d’épuration jouent un rôle clé dans le traitement des eaux usées, séparant l’eau épurée des boues riches en matières organiques et minérales. Ces boues, lorsqu’elles sont traitées dans des digesteurs anaérobies, deviennent une source précieuse de biogaz. Ce processus non seulement transforme un potentiel polluant en ressource énergétique mais réduit également le volume des boues de 20% à 50%, optimisant ainsi les coûts d’exploitation et diminuant la quantité de déchets à traiter. Le biogaz produit en station d’épuration urbaine offre plusieurs avantages : il peut alimenter des moteurs de cogénération pour produire électricité et chaleur sur site, ou être purifié et injecté dans le réseau de gaz, contribuant ainsi à l’autonomie énergétique et agronomique du territoire et à la réduction des gaz à effet de serre. De plus, cette valorisation crée des emplois locaux et non délocalisables.
Bien que toutes les stations d’épuration ne soient pas équipées de digesteurs pour la production de biogaz, l’intégration de cette brique devient de plus en plus courante, en particulier dans les nouvelles installations. Par exemple, la métropole lyonnaise a entrepris un ambitieux projet de méthanisation à la station d’épuration de Pierre-Bénite. Avec un investissement de 80 millions d’euros, ce projet vise à produire 77 GWh/an de gaz renouvelable à compter de 2029. Au nord, la station d’épuration Ovilléo de Marquette-lez-Lille, opérationnelle depuis 2015, représente une installation de nouvelle génération qui, grâce à son biogaz, atteint une autonomie de 94% en chaleur.
Filière Agricole & Territoriale
La filière agricole, dans le domaine du biogaz, tire parti essentiellement des effluents d’élevage tels que le fumier et le lisier, ainsi que des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVEs) et des résidus de récolte. Ce modèle a considérablement prospéré ces dernières années, soutenu par un cadre réglementaire favorable. Dans le but de promouvoir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, l’État a introduit des mesures de soutien ciblées pour cette filière. Ces mesures comprennent des subventions de l’agence de la transition écologique (Ademe) destinées à financer une partie des investissements initiaux, ainsi qu’un tarif d’achat garanti pour l’électricité et le gaz renouvelable produits, garantissant ainsi la rentabilité du projet sur la durée du remboursement des emprunts.
La méthanisation agricole se révèle être une véritable opportunité pour les exploitations cherchant à diversifier leurs sources de revenus et à générer de la valeur ajoutée au-delà de leurs activités conventionnelles. L’intégration de la production de biogaz dans ces systèmes agricoles joue un rôle crucial dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur, principalement par une gestion plus durable des déchets agricoles et en remplaçant les engrais chimiques par le digestat, un sous-produit valorisable issu du processus de méthanisation.
Deux approches dominent la filière : la méthanisation à la ferme et les installations centralisées. La méthanisation à la ferme permet à une exploitation individuelle de valoriser directement ses propres déchets, tandis que les installations centralisées, traitant les déchets et les cultures intermédiaires énergétiques (CIVEs) de plusieurs exploitations, offrent généralement une meilleure rentabilité. En effet, les installations de plus grande envergure bénéficient d’économies d’échelle qui réduisent le coût de production du biogaz, renforçant ainsi l’efficacité économique et environnementale du système.
La distinction entre la méthanisation agricole et la filière territoriale est cruciale, bien que souvent méconnue. Les installations territoriales, généralement de taille moyenne à grande, se concentrent sur la valorisation de déchets organiques locaux, de déchets verts, et de coproduits ou déchets d’industries agroalimentaires qui ne trouvent pas leur place dans d’autres filières de valorisation. Contrairement à la méthanisation agricole, où les intrants sont principalement issus des activités de l’exploitation, les unités territoriales ne s’appuient pratiquement pas sur des cultures dédiées (CIVEs) pour alimenter le processus de méthanisation, offrant ainsi une approche complémentaire dans la gestion des déchets et la production de biogaz.
Biogaz : une source d’énergie renouvelable aux multiples usages
Le biogaz, une énergie renouvelable polyvalente, joue un rôle clé dans la substitution du gaz naturel fossile par du biométhane, réduisant ainsi drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Épuré en biométhane pour être injecté dans le réseau, il remplace le gaz fossile dans divers usages tels que le chauffage, la cuisson, ou encore comme bioGNV pour la mobilité, notamment les transports lourds et maritimes. De plus, le biogaz alimente des moteurs de cogénération, produisant simultanément électricité et chaleur, démontrant ainsi sa versatilité et son potentiel dans le futur mix énergétique.
Dans le contexte actuel d’électrification des usages et face à l’intermittence des énergies renouvelables électriques telles que le solaire et l’éolien, les centrales à gaz s’avèrent indispensables pour la flexibilité du système énergétique. Si l’objectif pour 2050 à travers plusieurs scénarios est d’assurer que tout le gaz dans le réseau soit d’origine renouvelable, il est également nécessaire d’intégrer le biogaz dans les centrales à gaz pour maintenir cette flexibilité tout en poursuivant la décarbonation.
Le méthane (CH4), principal composant du gaz naturel, est également crucial dans la production d’hydrogène (H2) par vaporeformage, bien que cette méthode soit fortement émissive en CO2. L’utilisation de biométhane pour cette production ouvre la voie à un biohydrogène (H2) moins carboné, en complément des autres alternatives vertes ou bas carbone. De plus, le dioxyde de carbone (CO2), deuxième constituant majeur du biogaz, peut être réutilisé pour générer du biométhane via la méthanation, en le combinant avec de l’hydrogène, ce qui renforce le statut de l’hydrogène comme vecteur énergétique.
Cette intégration sectorielle de l’énergie met en avant l’importance d’une approche territoriale dans la transition énergétique, soulignant qu’il n’existe pas de solution unique mais une combinaison de technologies et de ressources adaptées à chaque contexte local.
Défis actuels et perspectives d’avenir du Biogaz
Le développement de la production de biogaz fait face à plusieurs défis majeurs. La réglementation, en constante évolution, peut parfois représenter un frein, nécessitant une veille réglementaire active et une adaptation rapide des acteurs du secteur. Les défis d’acceptabilité sociale constituent également des obstacles significatifs, souvent liés à des préoccupations environnementales ou à des impacts perçus sur la qualité de vie.
Pour surmonter ces défis, une approche collaborative et transparente est essentielle. Impliquer les communautés locales dès les premières étapes des projets et communiquer de manière transparente sur les bénéfices environnementaux et économiques peut aider à renforcer l’acceptation sociale. De plus, des politiques gouvernementales et des cadres réglementaires favorables sont cruciaux pour soutenir le développement de la filière, notamment à travers des incitations financières, l’accélération des démarches administratifs et le soutien à la recherche et à l’innovation.
L’avenir du biogaz s’annonce prometteur, avec un potentiel important pour contribuer à la souveraineté énergétique. Les innovations technologiques et les orientations de recherche continuent d’élargir le champ des possibilités, notamment en améliorant l’efficacité des processus de méthanisation et en explorant de nouvelles voies pour la valorisation du dioxyde de carbone (CO2) et du digestat. L’intégration du biogaz dans le mix énergétique contribuera à créer une économie circulaire valorisant les déchets comme ressources.
Malgré les défis, une approche stratégique et collaborative, appuyée par un cadre réglementaire solide et des politiques incitatives, peut ouvrir la voie à une expansion significative de la filière biogaz, en harmonie avec les objectifs de développement durable..
Sources